César Piette : La Peinture à l’Ère de la Simulation et de l’Hyperréalité
Dans un monde où le virtuel se confond avec le réel, César Piette s'impose comme une voix singulière dans l'art contemporain. Peintre figuratif et visionnaire, il explore des thèmes traditionnels tels que les vanités ou la nature morte, tout en intégrant des outils numériques comme les logiciels 3D et l'intelligence artificielle dans son processus créatif. Son esthétique "hyper plastique", caractérisée par des surfaces lisses et des textures simulées, interroge les frontières entre l'art et la technologie, entre l'objet tangible et l'illusion numérique. Dans cette interview, César Piette revient sur son parcours, ses inspirations et ses réflexions sur la place de l'art à l'ère de la simulation.
Crédit photo : Eleonora Paciullo / Almine Rech / Bim Bam Gallery
Vous avez commencé votre carrière dans l’illustration, la bande dessinée et les jeux vidéo. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre pratique picturale actuelle ? Voyez-vous encore des éléments de cette phase dans votre travail d’aujourd’hui ?
Oui bien sûr cela m’a influencé mais peut-être pas de la manière dont on pourrait le penser. Dans un premier temps j’ai voulu couper complètement couper les ponts avec cette pratique. Puis après un moment de recherche (plusieurs années) j’y suis revenu quelque part.
Mais cette influence n’est à mon avis que visuelle et pas ‘conceptuelle’ dans le sens où la pratique de l’illustration, jeux vidéo etc, et de la Peinture n’ont absolument rien à voir... Mais il est clair que cette culture visuelle est quelque chose qui est présent chez moi depuis longtemps et d’une certaine manière mon premier contact avec une pratique artistique. Je ne pense pas que ceci m’influence outre mesure aujourd’hui dans mon travail.
Vous travaillez souvent avec des logiciels 3D pour concevoir vos œuvres avant de les peindre. Quel rôle joue la technologie dans votre processus créatif et comment influence-t- elle la manière dont vous abordez des sujets classiques comme le nu ou la nature morte ?
Oui je travaille toujours à base de logiciels informatiques. Récemment j’ai produit des choses en utilisant l’intelligence artificielle, mais la 3d est toujours impliquée dans le processus. L’utilisation de la technologie est un commentaire en lui-même en ce sens où échapper à la technologie aujourd’hui est très compliqué. Même si je progresse dans l’utilisation des logiciels, souvent je me trouve limité techniquement et ceci explique aussi l’aspect des personnages ou objets que je peins.
Travailler avec des formes simples et simuler une sorte de plastique est plus simple à faire et surtout économique en temps. Ceci me permet de passer à la peinture plus rapidement. Je ne fais pas ce que je veux complètement avec les logiciels, je subis aussi mon incompétence. Mais ceci participe aussi du commentaire que je fais sur la technologie à travers mes peintures. Celle ci est présente, disponible et les ressources pour tenter de la maîtriser sont également présentes, ce qui était moins le cas il y a quelques années. Il y a donc une démocratisation de la technologie dans le même temps que l’innovation de celle-ci.
Vous parlez souvent de votre travail en termes de construction, presque comme un jeu de composition. Comment cette idée influence-t-elle votre choix de sujets et la manière dont vous les représentez ?
Oui car il y a un parallèle direct avec la Peinture figurative et son processus de création. Les peintres figuratifs construisent généralement leurs formes et leur composition pas à pas, étape par étape. C’est pareil avec le logiciel sauf qu’il vous permet d’aller beaucoup loin dans la précision.
Par exemple, comme vous pouvez naviguer et tourner autour de vos objets et de vos formes construites, cela permet d’ajuster le cadrage ou encore déplacer les objets comme vous le souhaitez. Ce qui est très fastidieux à faire directement sur une toile. De la même manière les couleurs, matériaux, lumières, etc sont ajustables quasiment à la l’infini.
Beaucoup de vos œuvres semblent puiser dans l'histoire de la peinture, avec des thèmes traditionnels tels que les vanités ou les paysages. Comment articulez-vous cette référence à la tradition avec votre esthétique résolument contemporaine ?
En tant que peintre figuratif et d’une manière ou d’une autre ces thèmes finissent toujours par revenir. il y avait la nécessité de se confronter à ces thèmes traditionnels et intemporels de manière directe. Avec des moyens de production très contemporains et par définition encore peu utilisés et pas du tout par les générations de peintres antérieures, comment puis-je proposer visuellement quelque chose de nouveau ?
Vos œuvres soulèvent la question de la représentation dans un monde dominé par la simulation. Que pensez-vous du rôle de l'art dans une ère où les frontières entre le réel et le virtuel sont de plus en plus floues ?
Je pense que l’art peut être le reflet de ce phénomène et que plus que jamais la société toute entière tend vers un monde où la frontière entre le virtuel et l’humain devient poreuse. Peu de gens ont conscience du nombre d’images générées par ordinateur auxquelles ils sont confrontées chaque jour et qu’ils prennent pour la réalité. Ce commentaire sur la simulation est à mon sens très pertinent aujourd’hui. Et si l’on prend en compte la capacité de l’intelligence artificielle à générer des images réalistes, je pense que cela sera encore pertinent pour un moment.
Comment percevez-vous l'évolution de votre travail au fil du temps ? Avez-vous le sentiment que votre approche ou votre style a changé de manière significative, ou est-ce une exploration continue d’un même concept ?
Jusqu’à maintenant j’ai le sentiment d’avoir été dans le même corpus d’œuvres , avec des sujets traditionnels et revenant régulièrement. Récemment j’ai produit de nouvelles peintures où les compositions sont plus éclatées et moins lisibles ce qui constitue un réel changement. Il se peut que je continue dans cette voix mais j’ai encore besoin de mâturer mes idées.
Vous avez mentionné que vous vivez et travaillez dans une petite ville loin de la scène artistique contemporaine. En quoi cet isolement a-t-il influencé votre art ? Pensez-vous que cela ait un impact sur la manière dont vous voyez et créez vos œuvres ?
Je pense que cela a influencé mon travail dans le sens où l’ordinateur, internet, youtube etc sont très importants pour apprendre, découvrir et me tenir au courant de ce qu’il se passe dans le monde et le milieu de l’art. Être connecté est une nécessité. Je ne pense pas que j’aurais pu produire ce genre de travail sans toutes les ressources disponibles sur internet.
Votre processus créatif commence souvent par des modèles numériques que vous traduisez ensuite en peinture. Quelle est, selon vous, la différence entre travailler sur un écran et transposer ces images en œuvres physiques ?
Pour moi ce processus du passage de l’écran à la peinture est une sorte de conversion. Comme l’on pourrait convertir un psd en jpg par exemple. Ici je convertis un fichier numérique en fichier physique. D’ailleurs les peintures sont loin d’être parfaites, des imperfections sont observables sur la surface des toiles tel que des traces d’adhésif, des marques de pochoirs etc... Les couleurs sont relativement fidèles mais pas copie conforme, il est difficile de saturer certaines teintes comme elles apparaissent sur l’écran par exemple.