Pauline Guerrier à la Galerie Romero Paprocki : une plongée dans “Heterotopia”

L'univers artistique de Pauline Guerrier se distingue par une fusion harmonieuse entre la nature et la créativité humaine. Artiste française contemporaine, Pauline Guerrier est reconnue pour ses œuvres multi-disciplinaires qui intègrent des éléments de sculpture, de dessin, et d'installation.

Ses créations sont imprégnées d'une profonde réflexion sur la relation symbiotique entre l'homme et son environnement, abordant des thématiques telles que l'écologie, le temps, et la transformation. Dans cet article, nous plongerons dans l'œuvre de cette artiste singulière, explorant comment elle utilise des matériaux naturels et des formes organiques pour inviter le spectateur à une contemplation renouvelée de la beauté et de la fragilité de notre monde.


Quelle inspiration se cache derrière le thème "Heterotopia" pour votre exposition solo à la galerie Romero Paprocki ?

La thématique de cette exposition a débuté lorsque Sibylle De Tavernost m’a proposé de collaborer avec elle sur l’idée d’une production de tapisseries.

Comme à mon habitude, à la découverte d’un nouveau médium, je cherche souvent la source qui correspond à ce médium, l’origine de son histoire et son développement. C’est ainsi que j’ai découvert que les premiers tapis dont nous avions la trace étaient des tapis perses qui représentaient des jardins.

Pourquoi ? Car les hommes de cette époque n’avaient pas les moyens d’en avoir et se faisaient broder des jardins immortels sur lesquels ils marchaient. La thématique de cette exposition parle d’une recherche de ce que seraient devenus ces jardins imaginés aujourd'hui avec les changements du monde, l’état écologique de la terre et aussi l’état de croyance du monde.


Pouvez-vous décrire le processus de création des œuvres présentées dans cette exposition ?

Chaque pièce imaginée, elle l’est d’abord en dessin. Comme à mon habitude, j’imagine d’abord à l’aquarelle l’ensemble des œuvres que l’on trouve d’ailleurs dans l’exposition. À partir de là, nous avons transformé les dessins en plan que nous avons ensuite agrandis. Il y a ensuite la recherche de la transcription de l’aquarelle à la laine pour préparer la teinture puis le tissage, suivi en dernière étape de la tonte.

Car les tapis ont été tissés avec la grande différence de mesurer 4 cm d’épaisseur et en ayant 3 fois plus de fil qu’une tapisserie classique, afin d’obtenir une densité très forte permettant de tondre les tapis comme des bas-reliefs et de les transformer en sculptures.

Comment les matériaux que vous choisissez contribuent-ils aux messages que vous souhaitez transmettre à travers vos œuvres ?

Le choix des matériaux est directement lié au sujet. Il influence aussi le sujet. En général, je choisis le matériau qui correspond le plus à ce que j’ai envie de raconter, même si cela nécessite d’apprendre une nouvelle technique.

C’est pour cela que j’ai abordé aussi bien le vitrail, la tapisserie, la broderie, la marqueterie, le soufflage de verre. J’ai beaucoup de cordes à mon arc puisque c’est toujours une relation très charnelle entre le sujet et la matière elle-même.

Cette exposition inclut une variété de médiums. Comment décidez-vous quel médium convient le mieux au concept sur lequel vous travaillez ?

En général, il y a des pièces que je décide de garder seulement en dessin avec l’idée que peut-être un jour, elles deviendront un autre matériau. Il est arrivé que je garde un dessin très longtemps avant que je décide de le transformer en marqueterie, par exemple. Ici, il s’agit de ma première série de tapisseries brodées et j’ai choisi 8 dessins qui me plaisaient le plus pour les transcrire en tapisserie. J’ai aussi choisi 3 dessins pour les reproduire en marqueterie. Je les ai choisis pour leur composition, leurs couleurs et leurs formes.

Votre œuvre aborde souvent des thèmes écologiques et spirituels. Comment ceux-ci se reflètent-ils dans les nouvelles pièces présentées à la galerie ?

La part de l’écologie et de la spiritualité fait en effet partie intime de mon travail puisqu’elle est née de l’observation lors de mes voyages à travers le monde et de la réalité de pouvoir constater que, quelle que soit l’origine des mythes ou des mythologies, qu’ils soient grecs, égyptiens ou vaudous, ils parlent tous de spiritualité et de nature, toujours intimement liés.

Pour les pièces que j’ai produites pour cette exposition, on retrouve des images de jarres, de l’idée du jardin d’Éden pourtant disparu et remplacé par une terre aride, un soleil rougi par la sécheresse, une terre qui est plus inquiétante qu’avant et des plantes qui se sont mises à avoir des yeux…reflet d’un monde dont on a perdu la beauté et dont on a perdu - non pas l’espoir car il persiste, mais l’idée mythologique qu’on avait, qui a été abimée.

Quel rôle jouent les savoirs ancestraux dans votre processus créatif et comment se manifestent-ils dans vos travaux récents ?

À travers mes voyages, j’ai pu constater que les savoir-faire, chargés d'histoire à travers le monde, reflètent ce qui nous reste de notre passé dans les matériaux et l'artisanat qui constituent nos patrimoines.

En utilisant ces matériaux et ces savoir-faire ancestraux aujourd'hui, j'ai l'impression qu'il est possible de parler du temps écoulé, de raconter l'histoire de manière générale, et de s'inscrire dans un patrimoine à la fois vivant et immortel.

Vous avez une carrière diversifiée avec des expositions dans le monde entier. En quoi "Heterotopia" diffère-t-elle de vos expositions précédentes ?

Sur la façon de fonctionner, "Heterotopia" ne diffère pas des autres expositions. Elle est le fruit d’une rencontre entre savoir-faire et des idées qui se lient pour démontrer et accentuer des propos écologiques ou spirituels que je soutiens.

La différence majeure de cette exposition réside dans le fait que c’est la première fois que je travaille cette technique de tapisserie nouée, un savoir-faire ancestral né entre l’Inde et le Népal.

Qu'espérez-vous que les visiteurs retiennent de cette exposition ?

Je n’attends jamais quelque chose d'eux. Au contraire, je trouve intéressant d'être surpris par les réactions que peuvent susciter ces œuvres sans en attendre quelque chose, et de me nourrir moi-même des observations des visiteurs.

Quels défis avez-vous rencontrés lors de la préparation de l'exposition "Heterotopia" et comment les avez-vous surmontés ?

Le défi majeur a été la durée de création des pièces, qui s'élève à environ 3 mois. La problématique principale a été due au climat actuel à la frontière du Népal et de l'Inde, car lorsqu’il a été question de teindre les laines pour pouvoir ensuite les tisser, nous étions en pleine période de mousson et les laines ne séchaient pas.

Nous avons dû attendre que les matières sèchent pour pouvoir les travailler au métier à tisser, posant ainsi la question de pouvoir exposer ces pièces en temps voulu.

Pourriez-vous expliquer la signification du titre "Heterotopia" et comment il se rapporte aux aspects spatiaux ou conceptuels de votre exposition ?

Le terme ‘Heterotopia’ rend hommage au concept d’hétérotopie développé par Foucault. Il évoque l'idée qu’il existe des lieux, qu’il nomme comme des non-lieux, qui n’appartiennent pas au réel, des lieux inventés pour vivre dans des ailleurs.

Il mentionne que le jardin est une hétérotopie car c’est une nature inventée par l'homme, tout comme le tapis, qui est la plus petite surface du monde mais aussi le monde entier selon lui. Cette idée m'a beaucoup inspiré.

Votre travail implique souvent un processus collaboratif avec des artisans. Pouvez-vous nous parler de collaborations qui ont joué un rôle significatif dans cette exposition ?

Ici, il s’agit d’une transmission de mon dessin à des maîtres de savoir-faire, des tisserands situés entre le Népal et l’Inde. Ce qui est intéressant pour moi, à travers cette recherche, c’est de sacraliser le travail de la main.

En parallèle, on trouve aussi le travail de la marqueterie de paille, une technique que je travaille depuis maintenant 4 ans en collaboration avec des marqueteurs. Ensemble, nous réalisons ces pièces qui partent de mes dessins et qu’on remplit progressivement de paille.

Ce que j’aime dans cette technique, c’est la paille et ce savoir-faire qui viennent directement des agriculteurs puisqu’elle a été inventé par eux dans l’idée de copier la marqueterie de bois qu’on trouvait dans la bourgeoisie.

C’est dans cette idée de créativité et de génie de l’observation qu’ils ont pu remarquer la beauté de la paille dans toute la pauvreté que représente ce matériau. C’est ça qui me plait énormément : la force de ce médium.


Comment votre style artistique a-t-il évolué au fil des années ?

Pour moi, il n’y a pas de style artistique spécifique qui caractérise mon travail. La seule constante est le dessin, qui a toujours fait partie de mes recherches et qui est aujourd'hui présenté à titre d'œuvre d'art. Il n’est plus caché, mais est devenu une partie intégrante de mon œuvre.

Cette facette du dessin est beaucoup moins intime qu'elle ne l'a été par le passé. Pour le reste, il est désormais clair pour moi que la matière est essentielle dans mon travail et qu'elle joue un rôle crucial de transmission et de messagerie. Elle engage un véritable corps à corps, une signature que je n’avais pas auparavant manifestée dans mon travail.

Quels retours des visiteurs vous ont le plus marqué lors de l'ouverture de cette exposition ?

Curieusement, c’est la joie procurée par ces pièces. J’ai observé des visiteurs heureux de découvrir ces couleurs, qui ont immédiatement compris qu’il ne s’agissait pas d’un message pessimiste, mais plutôt d’un message d’espoir.

Cette exposition évoque la réalité douloureuse d’un monde où, comme je le décris, les hommes se sont pris pour Dieu, illustrant la dérive de notre monde où les hommes pensent pouvoir être les dieux et les maîtres de tout.

L'exposition porte une réflexion mélancolique sur ce que le monde pouvait être lorsqu'il était libre. J’espère que ce message de respect et d’émerveillement imprègne l'exposition.

Y a-t-il une pièce particulière dans cette exposition qui a une signification spéciale pour vous ? Si oui, pourquoi ?

Oui, l'une des tapisseries, intitulée ‘L’écume des jours’ d'après le livre de Boris Vian, est actuellement ma pièce préférée. Elle incarne l'idée de la maladie de l'amour et parle également de notre amour pour la terre. Elle évoque une forme de nostalgie et est représentée par un fleurissement, tel un bourgeonnement de plantes qui nous observent à travers ce tableau.

À l'avenir, comment voyez-vous votre art évoluer dans les prochaines années ?

Je ne parlerais pas d'évolution mais de continuité. Je souhaite que le cœur du monde que je découvre à travers mes voyages reste le principal point de recherche dans les années à venir. J’espère avoir le temps de continuer à observer et à découvrir de nouvelles cultures et des spiritualités anciennes, qui deviendront le fondement de mes futures expositions.

Quels sont vos projets ou expositions à venir ?

En parallèle de l'exposition "Heterotopia", j’ai présenté mon travail en soloshow à Bruxelles puis à New York lors de la Nada Art Fair. J’ai aussi préparé en collaboration une exposition intitulée 'Marseille' visible au Mucem tout le mois de mai, portant sur les savoir-faire textile, en compagnie de la maison Chanel dans le cadre de son projet du 19M. Je prépare un échange entre Sète et Lisbonne en septembre / octobre puis une résidence au Bénin en novembre.

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